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20 octobre 2014 1 20 /10 /octobre /2014 16:56

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Claude Lanzmann fustige dans son très bel éditorial des Temps Modernes la soi-disant "Lettre au président de la République" d'une petite phalange d'anti-israéliens obsessifs, Edgar Morin, Rony Brauman, Régis Debray, et Christiane Hessel.

*****
Cela s'appelle « l'échange inégal ». Éric Marty en avait impeccablement parlé dans le numéro 677 des Temps Modernes.

Pour récupérer et restituer aux siens un seul de leurs soldats, Gilad Shalit, otage du Hamas depuis plus de cinq ans, les Israéliens avaient rendu à la liberté 1027 prisonniers palestiniens, purgeant de longues peines pour crimes de sang, la plus lourde étant la perpétuité puisque la condamnation à mort n'existe pas là-bas.

1027 contre un !
Et ce n'était pas le premier troc de ce type.

Quatre ou cinq fois auparavant, la théorie de l'échange inégal avait déjà été mise en œuvre par les gouvernements successifs d'Israël - de droite comme de gauche (cf. note 13, du même numéro des T.M.).

Nul alors, aussi bien parmi les parties qui s'était entendues sur l'échange que chez les vigilants et les sourcilleux par état, pointilleux comptables des méfaits d'Israël, ne s'était avisé de hurler à la disproportion, n'avait dénoncé le scandale ontologique de l'échange inégal, scandale parce qu'il impliquait au premier chef que les vies humaines n'ont pas le même prix !
La vérité est que, depuis la Shoah et la mort de six millions de juifs, on a presque honte d'oser rappeler, les Israéliens accordent à la vie de chacun des leurs un prix sans mesure, une valeur telle que ce pays semble autoriser ses ennemis à exercer sur lui un chantage permanent, qui débouche sur des provocations de la pire espèce.

Ce n'est pas le lieu ici de disserter sur la relation unique entre le judaïsme et la vie qui, depuis la Shoah précisément, n'a cessé de croître et de s'approfondir.

Mais les soixante-quatre jeunes recrues qui viennent de perdre la leur à Gaza ont eu à peine droit à une mention de compassion dans l'étonnante « sommation » à François Hollande, Président de la République, publiée par Le Monde et cosignée de Messieurs Rony Brauman, Régis Debray, Edgar Morin, accompagné, pour faire bonne mesure et museler toute objection, d'une quatrième mousquetaire, épouse de feu l'indigné Stéphane Hessel, Christiane de son prénom.
Texte partisan, menteur, sans courage et racoleur, dont les esprits augustes qui l'ont rédigé ne pouvaient pas ne pas avoir conscience de sa fausseté, de sa faiblesse, de son vide en un mot.

On comprend qu'au cœur du mois d'août et pour être certains qu'on prêterait à leur propos la gravité requise, ils aient imaginé d'appeler à la rescousse le Président de la République, en l'enrôlant sous leur bannière pour se donner chair et poids, lui assénant qu'il était « comptable » (sic) d'une certaine idée de la France et le sommant (c'est leur mot !) d'agir, autrement dit de déclencher une croisade anti Israélienne et d'en prendre la tête.

Ils n'ont pas osé recommander de déploiement d'une ou deux escadrille de Rafales, qui réglerait la question à la libyenne et garantirait à la France qu'elle n'avait pas perdu son honneur.

Mais ne doutons pas que cette brillante idée ait été caressée par quelques-uns.

Faisons confiance à François Hollande : « Pour qui se prennent-ils ? », pensera-t-il à l'instar de François Mitterrand qui savait répondre à toutes les formes de sommation : « Pour qui vous prenez-vous ? Pour qui me prenez-vous ? », avait-il coutume de dire à ceux qui prétendaient lui forcer la main.
Actif fera-t-on croire que le Hamas, ennemi numéro un d'Israël et de son existence (les programmes scolaires enseignés à Gaza aux filles comme aux garçons sont sur ce point d'une évidence et d'une unanimité sans espoir), ait été pris par surprise par les bombardements israéliens ? Il les a voulus.

Quelles que puissent être l'horreur et la colère inspirées par le nombre des morts et des blessés civils, c'est le Hamas qui en est le premier responsable.

Il joue les vierges effarouchées avec un cynisme froid relayé par les quatre belles âmes de la « sommation » qui ont toutes - c'est leur problème - des comptes à régler avec leur propre judaïsme et qui devraient-si elles avaient un semblant de bonne foi-se récuser comme témoins, acteurs ou même simples commentateurs des événements du Moyen-Orient.

Ce n'est pas la première fois que l'armée d'Israël pénètre dans Gaza et, chaque fois, ses pertes sont si lourdes, au trébuchet de l'histoire de ce peuple, qu'on comprend ses réticences à envoyer ses enfants à la mort.

Une réglementation unique, propre à Tsahal, ordonne que si, parmi deux ou trois membres d'une même famille mobilisés dans des unités combattantes, l'un d'eux est tué, les autres doivent immédiatement quitter le combat et rentrer chez eux.

Personne ne déroge à cette loi : la perpétuation de la famille est primordiale et la référence à la Shoah est explicitement revendiquée dans le texte qui la fonde.
Mais telle est cette bête, méchante quand on l'attaque, elle se défend.

Elle attaque même, sans s'attacher aux « disproportions » qui lui seront de toute façon reprochées.

Nos mousquetaire s'enferment dans une comparaison grotesque entre l'accident d'avion de la Malaysia Airlines, imputé à Poutine, et les morts palestiniens, victimes « ciblées » et revendiquées d'Israël.

Le fait qu'Israël « cible » ses victimes doit être porté à son crédit et à son honneur.

Téléphones, tracts, SMS, préviennent les gens qu'ils vont être bombardés.

On félicite risiblement le Président de la République de « prendre en main le sort et le deuil des familles d'une catastrophe aérienne au Mali » - comme s'il n'avait pas mieux à faire ! - , mais on tait soigneusement les 10.000 missiles au garde-à-vous dans les tunnels de Gaza comme les statues des guerriers Xian du Shaanxi, attendant leur tour d'être lancés d'une façon, elle, indiscriminée sur les villes israéliennes, Jérusalem, Tel-Aviv et Haïfa pour la première fois à portée de ti Les fusées semblent prendre la place des volontaires des attentats suicident qui, jusqu'à la construction du mur de protection, on fait des centaines de morts israéliens, la plupart civils, dans les autobus, les discothèques, les restaurants, les synagogues…
Le Hamas savait parfaitement que l'assassinat de trois adolescents israéliens kidnappés, couplé avec le déferlement des missiles sur les cités juives, entraînerait la riposte, et le voulait.

Sa provocation réussie, ce qui ne veut pas dire qu'elle a été capable de briser l'isolement grandissant du Hamas dans le monde arabe, qui était sans doute le but inavoué du déploiement des grandes orgues.
On parle de Gaza comme d'une prison à ciel ouvert et les protestations du Hamas contre la fermeture par les Égyptiens du point de passage de Rafah et le démantèlement des tunnels de sa frontière Sud sont prises pour argent comptant.

Cette propagande est bien faite, mais elle est menteuse comme toute propagande.

Les gens ne meurent ni de faim ni de soif à Gaza, les magasins regorgent, il suffit d'avoir de l'argent et la lutte de classes existe là-bas comme ailleurs.

Les riches gazaouis, qui vivent dans leur grande villa des hauteurs, ne font pas la charité aux réfugiés qu'ils entretiennent comme un cancer.

« Nous avons eu l'occasion de nous rendre à Gaza où il existe un institut culturel français ; et les SOS que nous recevons de nos amis sur place, qui voient les leurs mourir dans une terrible solitude, nous bouleversent », écrivent Rony, Edgar, Régis et Christiane.

L'Institut culturel français à Gaza, parlons-en : c'est une pétaudière humanitaire qui crée des faux témoins, installée là comme un avant-poste de la propagande anti israélienne relayée parmi mille haut-parleurs qui cherchent à faire passer une ville ennemie, et comme telle soumise au blocus, pour le ghetto de Varsovie.
par Claude Lanzmann,
france israel marseille
Les Temps Modernes Juillet-septembre 2014
repris dans Pour un autre regard sur le Proche-Orient n°15 Octobre 2014
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