Par Lea Cohen Robineau,
France, ma belle France, mon amour.
Tu perds tes juifs.
Tu sais, ces citoyens sans qui tu ne serais pas ce que tu es aujourd’hui, ceux qui ont participé à ta culture, ton intelligence, ta construction, tes guerres…
Oui, tes guerres aussi, et aujourd’hui, ne sommes-nous pas en guerre ?
Tu brûles de l’intérieur, je te vois, tu agonises.
Cet élan extraordinaire de solidarité ce dimanche 11 janvier, ces manifestants de la paix « trop nombreux pour être comptés », ces chants de la Marseillaise ô combien d’actualité…
Allons enfant de la Patrie, le jour de gloire est arrivé, contre nous de la tyrannie l’étendard sanglant est levé, entendez-vous dans nos campagnes, mugir ces féroces soldats, ils viennent jusque dans vos bras égorger vos fils, vos compagnes… .
L’ennemi n’est pas à nos portes, il est en nous.
L’ennemi n’est pas étranger, il est français.
Alors que faire, quand on est un citoyen doublement visé, français, porteur des valeurs de la République et juif, porteur de valeurs universelles qui ont construit la civilisation ?
Tu le sais bien, ils partent, tous.
Un billet aller, souvent sans retour, certains avec amertume, d’autres sans regarder en arrière.
Tu sais, j’ai été parmi ceux-là. Je suis partie.
Te souviens-tu, quand on assassinait tes enfants à l’école, parce que juif ?
C’est là, que j’avais décidé de plier bagage pour un pays où coule ni le lait, ni le miel.
Pour cet autre pays en guerre depuis sa naissance, mais pour ce chez soi millénaire.
Et je suis rentrée, parce que cette identité en moi était trop forte, me prenait à la gorge et ne me laissait jamais de répit.
Ton ciel, ton goût et ton odeur, ils m’obsédaient.
France, ma belle France, mon amour. Tu perds tes juifs. Tu sais, ces citoyens qui pourraient t’apprendre l’amour de soi.
Car depuis des décennies, il devient honteux d’être français.
Accrocher un drapeau à son balcon est synonyme de patriotisme et donc de racisme…
Regarde-nous, même si nous nous critiquons, nous sommes tous frères et nous nous aimons.
L’entraide est dans nos gènes, la solidarité n’est-elle pas nécessaire quand la mort menace de nous faucher à chaque instant et que l’histoire nous torture ?
Il t’aura fallu je ne sais combien d’années pour te rendre compte que tu es belle, et maintenant regarde, il est peut-être trop tard.
Cette solidarité d’hier, est-ce ton dernier soubresaut avant de rendre l’âme ?
Il t’aura fallu d’innommables carnages pour te rendre compte qu’il fallait se serrer les coudes et faire front, pour te rendre compte que nous étions tous semblables et que nous avions tous besoin les uns des autres.
Pour te rendre compte que le deuil du voisin est aussi ton deuil.
Pour te rendre compte que la douleur de la perte est contagieuse, pour te rendre compte que je suis toi et que tu es moi, et qu’ensemble nous formons un peuple.
Comprends-tu maintenant cette force inébranlable qui meut le peuple juif depuis des millénaires ?
Comprends-tu maintenant, cet amour de l’armée d’Israël, de ces enfants qui protègent nos enfants, toi qui sais désormais le courage exceptionnel dont les forces de l’ordre ont fait preuve, et dont elles font preuve chaque jour sans même que tu ne le voies ?
France, ma belle France, mon amour.
Tu perds tes juifs.
Et j’ai peur que le futur ne suffise plus.
Que vas-tu faire pour arrêter cette hémorragie ?
Tu saignes et je saigne avec toi.
Dois-je partir ? Je ne sais pas. Je ne veux pas.
Mais dois-je le faire ?
Je suis mère de milliers d’enfants et je suis mère pour mon fils.
Peux-tu m’assurer qu’il grandira fière d’être français juif, peux-tu m’assurer que son enfance sera sucrée, qu’il s’en souviendra avec nostalgie et qu’il ne transmettra à ses enfants ni la douleur du départ, ni l’indifférence la plus totale ou la haine envers ce pays qui l’aura vu naître ?
(...)
France, ma belle France, mon amour. Tu perds tes juifs.
Est-ce que tu m’entends ?
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